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comme un pays qui n’est plus le mien

comme un pays qui n’est plus le mien

massif de Belledonne, Isère, septembre 2011

Cette forêt où j’aime tant marcher, théâtre de mes escapades depuis l’enfance, a payé un lourd tribut aux violences du printemps. C’est un paysage de désolation que j’ai trouvé l’autre jour sur ce versant secret de la montagne : une bonne partie des hauts sapins de la forêt sont à terre. Arrachés à leur pente sans doute à cause des bourrasques, les arbres sont tombés comme des dominos. Ils ont laissé sous leurs racines des trous béants que les fortes pluies toutes ces semaines ont souvent remplis. D’autres sapins, coudés par le vent, sont sur le point de rompre. Sous la menace de leur chute, la forêt devient dangereuse. Des bûcherons viendront peut-être terminer le travail de la tempête et alors la forêt sera détruite. Je n’ose y penser.

Avec le temps ces sapins géants étaient un peu les miens, – une sensation d’intimité d’autant plus forte qu’aucun autre promeneur n’est venu la troubler lorsque je m’y rendais. Ces colosses sont là depuis sans doute deux siècles ou plus – dans mes plus vieux souvenirs, c’est-à-dire depuis plus de quarante ans, ils étaient déjà grands et forts. Leurs silhouettes s’étirent si haut qu’on ne voit pas le sommet, et très peu le ciel. Ces arbres sont précieux parce qu’ils font pousser les girolles et les cèpes ; les écureuils, la martre et le pic noir y habitent. Ils abritent aussi des rêves et des nymphes. Jadis mystérieuse et moussue, profonde comme un temple, la forêt a changé de visage. Voilà que la lumière du jour éventre la terre, le ciel se dévoile impudemment dans les trouées. Les arbres qui ont résisté au désastre semblent orphelins et secs. L’enfant que j’étais a du mal à retrouver son chemin.