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indépassables solitudes

indépassables solitudes

Péninsule Valdès, Argentine, août 2006

au pied
Elle promène ses deux gros chiens le long de la digue. Perdue dans un jeans informe, le visage émacié presque coupant. Et tandis qu’il jaillit des fourrés des sérénades de rossignols, ses yeux sans regard restent rivés sur les textos de son téléphone. Qu’un des chiens se mette à aboyer après un cueilleur, elle le rappelle à l’ordre mollement. Celui-là s’appelle Chloé. « Elle n’est pas méchante, juste idiote, mais pas méchante », semble-t-elle se trahir à s’adressant à l’homme épouvanté. Le chien s’éloigne devant, les rossignols se taisent. Elle retombe dans la lecture de ses messages. L’eau sous la digue est un peu noire, luisante d’absence, gonflée de printemps pluvieux.

bourdon
Aux Etats-Unis, l’hiver a détruit près d’un tiers des colonies d’abeilles. Ce n’est pas l’hiver climatique qui est en cause. C’est l’hiver du cœur, l’hiver de l’inattention.

misérable
A bien le regarder, il ressemble à Victor Hugo vieux. Même expression de lion renfrogné, même crinière, blanche et drue du même poil qui lui ronge la moitié du visage. Son Guernesey, c’est un deux-pièces qu’il ne quitte plus que pour aller s’attabler à Jersey, d’un saut de puce, le bar-PMU du village. La comparaison s’arrête là. Quoiqu’à sa manière de plaisanter sur le temps qu’il fait, rengaine sans variante ahannée chaque matin dans les escaliers à qui veut l’entendre, on n’est plus tout à fait sûr que le Dernier Jour d’un Condamné n’ait pas été écrit pour lui. Est-il si pénible de mourir chaque jour ?

piquette
Ca fait plus de trente ans, c’est un secret maussade. Il n’attend plus rien d’elle mais il est encore là, à lui tenir la porte de l’allée à chaque fois qu’elle revient de promener ses chiens. Elle ne sait pas comment lui dire qu’elle est bouleversée par sa patience. Elle n’ose rien dire de peur d’éveiller en lui de faux espoirs, tout en se désolant de sa résignation. Ils s’invitent parfois autour d’un mauvais vin, histoire de noyer ensemble les derniers souvenirs. Pas trop souvent quand même pour ne pas voir leurs cadavres remonter.