à part soi

Menu

à part soi

Menu
l’or d’été (la mort de johnny)

l’or d’été (la mort de johnny)

Tam Dao National Park, Vietnam, août 2012

 

Le printemps cette année-là fut si gris et encombré que les jours d’été, lorsqu’ils réussirent à s’imposer au bout d’interminables semaines secouées de tempêtes et de bourrasques, semblèrent irréels. L’absence entêtée du soleil nous avait rendus méfiants de toute éclaircie. Nous étions pourtant en train de connaître un bouleversement majeur : le ciel resterait bleu, égal, jusqu’au fin fond de l’été, et c’est à ce moment-là, au retour des premiers orages, qu’il nous viendrait la certitude d’avoir enfin vécu – à défaut d’avoir su vivre dans toute sa mesure l’éblouissement présent.

(C’est cet été que Johnny choisit de disparaître pour de bon. Pas tout à fait du champ des ondes, puisque, comme beaucoup l’avaient craint, l’on déploya des hommages à n’en plus finir, à coups d’archives pré-pompidoliennes, de témoignages compassés de vieilles gloires sans lustre, et même de débats contradictoires opposant philosophes friqués de gauche et soudeurs de Métalusine. Sur une question qui taraudait même les libellules : « Johnny était-il un rocker refoulé ? » Pour tenter d’y répondre, on disséqua sa passion précoce pour Georges Brassens, mit en perspective sa façon de tenir le micro et même Alex Beaupain vint apporter un témoignage troublant. De quoi presque oublier les circonstances de sa disparition : Johnny est mort à l’âge de 113 ans dans sa friteuse qui fumait mou, à l’heure du repas, entouré de ses onze arrière-petites-filles. Un doigt malencontreux sous le couvercle et le chanteur fut happé, englouti dans l’huile brûlante. Rendus rapidement sur les lieux, les pompiers constatèrent une sorte d’hippocampe qui surnageait dans le liquide encore chaud. On se demande encore s’il n’avait pas confondu la friteuse familiale avec son jacuzzi.)