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les portes de la nuit (springology #5)

les portes de la nuit (springology #5)


Isère, mai 2012

Finalement ce n’était pas le printemps. Il s’était trompé de saison, peut-être même d’époque. Une erreur d’aiguillage, l’emballement inattendu d’un attelage l’avait projeté sur la froide margelle de novembre. Devant lui l’opacité sombre d’un étang reflétait le bitume de la nuit qui s’avançait par nappes. Au loin des chiens arrachaient à la brume du terroir des cris rauques et lugubres. Concert de tourments et de rage. Sur l’autre rive il aperçut la silhouette évanescente d’un rêve de mai. Une sensation de décalage amère, impossible à combler : lui dans sa déroute, semé à la volée, cherchant le fil, le chêne, l’intime, là-bas l’éclat, le don de l’ivresse, l’offrande à moitié déchiffrée. Dans ce vertige soudain, les mots se mirent à danser dans sa tête, balbutiaient comme des papillons et comme eux, malgré leur apparente fragilité, restaient hors de portée. Au bout d’un moment, il se laissa tomber à terre et resta assis sans bouger.
Les chiens se turent peu à peu. D’une caresse sur l’épaule, le vent lui proposa son amitié. Ses draps n’épongeaient plus sa sueur. Au bout du couloir, l’affiche du film Breezy se décolla par le bord supérieur droit, laissant apparaître un triangle décoloré sur la tapisserie jaune comme le soleil.