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un singe en hiver (notes sur la déforestation)

un singe en hiver (notes sur la déforestation)

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Semnopithèque de Thomas (Presbytis thomasi), Bukit Lawang, Sumatra, juillet 2013

Ce petit singe endémique du nord de Sumatra (il n’existe nulle part ailleurs dans le monde) est l’autre symbole victimaire de la déforestation en Indonésie, à côté de son grand frère l’Orang-Outan.

La forêt ? Où ça ?


Dans un rayon de 100 kilomètres autour de la ville de Medan, je n’aurai vu qu’un seul arbre. Une seule espèce, reproduite à l’infini sur des dizaines de milliers d’hectares, dévorant tout sur son passage : le palmier à huile. Des palmiers gros et grands, plantés depuis sans doute déjà plus de vingt-cinq ans, des palmiers moyens, les plus courants, d’une dizaine d’années, qui situent le plus fort des destructions de forêts au début de ce siècle, mais aussi des petits palmiers à peine sortis des pots et replantés sur des terrains encore boueux. Impression de tristesse, puis de colère et de dégoût. Pour se rendre à l’éco-village de Tangkahan, situé aux portes du parc national de Gunung Leuser, il faut rouler quatre heures sur une route qui devient très vite monotone et oppressante sous l’ombre inerte des palmiers : est-ce donc ça, les tropiques que les grands aventuriers du 19e siècle nous racontaient ?

Le troisième jour de mon arrivée à Sumatra, j’ai pris une jeep (avec un chauffeur, merci Salim) pour me rendre compte de l’étendue des dégâts. Roulé une demi-journée dans un dédale de plantations pour compter les espèces d’oiseaux présentes, un indicateur de la biodiversité et de l’état des équilibres naturels. J’aurai dénombré au total… sept espèces d’oiseaux, dont six n’appartenant pas au milieu forestier (cf. note en fin de billet). Sur un même laps de temps lors d’un mini-trek en forêt vierge, j’avais pu la veille comptabiliser une soixantaine d’espèces. La diversité des oiseaux dans les palmeraies industrielles ne représente sur cette expérience que 12 à 13 % de celle qu’accueille la grande forêt. Pas un singe, et une seule espèce de mammifère : le rat, qui semble proliférer notamment autour des tas de noix de palme entassées au pied des arbres.

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La palme de l’enfumage


Dans ces conditions, comment peut-on croire à cette huile de palme « durable », que nous vantent en chœur les industriels du secteur ? Conscients d’une médiatisation défavorable à leur égard, ces derniers ont mis en place le label RSPO, qui veut offrir au palmier à huile une respectabilité environnementale. RSPO fait ainsi la promotion d’une culture pratiquée sur des sols déjà cultivés (sur d’anciennes plantations d’hévéas par exemple) ou en dehors des forêts primaires. S’il a été validé par quelques ONG comme le WWF, ce label reste vigoureusement contesté par la majorité des associations de protection de la nature. Cette certification RSPO ne résout pas les problèmes posés par la culture intensive des palmiers à huile, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en Indonésie et en Malaisie. Un document très complet sur ce sujet est disponible ici.

On peut creuser le sujet RSPO :


– Des sociétés qui s’affichent avec ce label ont continué à défricher en 2012 : 7000 hectares de forêt primaire décimés en Malaisie par la compagnie IOI.

– RSPO autorise encore l’emploi de certains pesticides jugés très dangereux, comme le paraquat

– Surtout, RSPO ne bannit que le rasage des forêts primaires et celles dites « à haute valeur de conservation » : une expression alambiquée et subjective, utilisée par les industriels de l’agroalimentaire réunis sous la bannière de l’Alliance pour une huile de palme durable. Ces derniers opposent clairement dans leur discours ces forêts « à haute valeur de conservation », qu’ils promettent de respecter, des forêts dites « dégradées ». Or, que sont ces forêts dégradées ? Des boisements éclaircis, des zones tampons entre la forêt primaire et les zones agricoles, où se réfugient une faune et une flore spécifiques, et pouvant servir de corridor biologique entre deux régions forestières. L’Alliance française pour une huile de palme durable incite à concentrer les futures plantations sur des zones agricoles extensives et des forêts dégradées, dont la qualité environnementale est cependant très élevée. J’y ai observé notamment plusieurs espèces d’oiseaux du genre Megalaima, qui évitent la forêt dense.

A propos des forêts dégradées, écoutez ici ce que dit Alain Rival, du CIRAD, au début de son discours pro « huile de palme ».

S’en remettant à l’argument « captation de carbone », il omet totalement de rappeler l’importance environnementale de tels milieux, qui peuvent aussi devenir des espaces-cibles pour recréer de la forêt tropicale. En anéantissant ces forêts dites dégradées, on diminue d’autant les chances de reboiser une région.

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Une culture vivrière ?


L’argument social que j’ai plusieurs fois entendu au cours du voyage : « En Indonésie, la culture du palmier à huile fait vivre plus de quatre millions de personnes. » Ce qui est finalement très peu au regard des millions d’hectares de forêts converties ! Une étude néerlandaise le confirme d’ailleurs : la culture de l’huile de palme requiert peu de main-d’œuvre par rapport aux cultures traditionnelles.
Qui dit peu de main-d’œuvre, dit faible coût : comment les industriels pourraient-ils se passer d’une huile si bon marché ?

L’exposition prolongée aux produits chimiques nécessaires aux cultures industrielles a aussi été pointée. A en juger par l’extrême pauvreté de la flore sous les arbres, les herbicides doivent être allègrement déversés.

La transformation des terres a par ailleurs entraîné des tensions entre petits propriétaires fonciers. A tel point que certains accès aux plantations sont étroitement surveillés. Lors de notre périple sous les palmiers, nous avons dû à maintes reprises payer un octroi pour accéder à certaines routes. Les garde-barrières montraient un visage suspicieux lors de notre passage. Une ambiance militaire peu propice à l’échange et à la fraternité.

La France et l’Europe encouragent l’huile de palme


Chez nous, les débats publics sur l’huile de palme ont fait long feu. Il fut question en 2012 de mettre en place une taxe sur les produits contenant de l’huile de palme au motif que ce produit favorise l’obésité. Le projet a peut-être été définitivement enterré l’été dernier, le Premier Ministre ayant rassuré les producteurs malaisiens ( une diplomatie économique qui fait dire à Jean-Marc Ayrault devant son homologue de Malaisie : « C’est un Français qui a diffusé l’huile de palme en Malaisie »).

Dans le même temps, des entreprises européennes participent à la déforestation. Pas seulement les grands groupes agro-alimentaires. AGIP-ENI vient d’annoncer la création près de Venise d’une raffinerie de biocarburants à partir d’huile de palme. L’incorporation d’huile de palme dans les biocarburants encouragés par l’Union européenne pourrait atteindre 40 % à l’horizon 2020, comme le redoute l’association des Amis de la Terre.

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Un paradis perdu


Il reste à Sumatra moins de 20 % de ses forêts primaires originelles. Plus de la moitié des zones forestières ont été rasées entre 1985 et 2009. Pas seulement pour l’huile de palme mais aussi pour la pâte à papier et le commerce de bois exotique.

Une dizaine d’espèces d’oiseaux n’ont pas été revues depuis plus de dix ans. Le Tigre, le Tapir, l’Orang-outan, le Rhinocéros de Sumatra et l’Eléphant y sont en danger critique d’extinction (liste rouge UICN). La déforestation a été ralentie grâce au moratoire instauré en 2009 par le gouvernement indonésien. Elle se poursuit cependant à bon rythme sur le versant malaisien de l’île de Bornéo, qui a perdu la moitié de ses forêts en une vingtaine d’années.

Note ornithologique : les oiseaux observés dans les plantations de palmiers à huile étaient le Garbeboeufs Ibis (Bubulcus ibis), le Héron pourpré (Ardea purpurea), la Géopélie zébrée (Geopelia striata), la Tourterelle tigrine (Spilopelia chinensis), le Loriot de Chine (Oriole chinensis) et le Martin-Chasseur de Smyrne (Halcyon Smirnensis). Des espèces largement répandues sur l’ensemble de la région sud-asiatique.