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beauté invisible

beauté invisible

 

Raphicère du Cap (Raphicerus melanotis) dans la végétation folle du fynbos, région de Bontebok, août 2014

A droite, à gauche, devant, derrière, quand je plonge dans la Nature, je ne sais pas où commence l’Humanité ni où elle finit. Je vois juste son œuvre de destruction dépasser des collines : sa trace n’est pas intégrée.

L’action humaine a parfois généré des adaptations positives dans le règne animal. Même la fragile hirondelle a profité des anciennes granges pour faire son nid. Mais il faut prêter une attention rigoureuse aujourd’hui pour que tout projet susceptible de répondre à un enjeu collectif quel qu’il soit nuise le moins possible à un équilibre naturel déjà bouleversé.

Le principe de compensation, qui veut qu’à un morceau de Nature détruit on protège ou restaure le même ailleurs, ne pourra pas être appliqué indéfiniment. La planète a perdu sa sauvagerie. Les forêts sont « gérées », les poissons sont des « stocks ». Là où la Nature s’ébat encore est étiqueté « réserve ». A ce stade technologiquement avancé de l’humanité, rien n’autorise à prédire que demain la Terre sera rendue à son foisonnement originel ou ses battements intimes.

Toute cette dépoétisation de l’univers, ce quadrillage en règle du vivant – quand il n’est pas biffage -, vient de notre incapacité à abandonner notre culture d’un monde efficient et notre fascination du geste rentable. Nous éprouvons toutes les difficultés pour discerner la beauté, la richesse, le bonheur dans le désordre miraculeux des vies autres que la nôtre. Miraculeux au sens où ce désordre apparent et son dialogue avec les étoiles restent à peu près tout ce que la conscience n’a pas réussi à décrypter.

L’incapacité chronique à accepter la Nature telle quelle, comme la méfiance nourrie envers les hurluberlus qui contemplent ses reliques, pose une question : l’espèce humaine a-t-elle un jour connu l’état de nature ? Il n’est pas nécessaire de parcourir le monde pour trouver un bout de réponse. Mon voisin a gravillonné ce printemps la moitié de son jardin « pour faire plus propre ».

« J’étais apparu par hasard, j’existais comme une pierre, une plante, un microbe. Ma vie poussait au petit bonheur et dans tous les sens. Elle m’envoyait parfois des signaux vagues; d’autres fois je ne sentais qu’un bourdonnement sans conséquence. » (Jean-Paul Sartre, La Nausée)