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le même ciel?

le même ciel?

medan

Sun Plaza, Medan, Sumatra, juillet 2013

Bonne nouvelle : on me dit dans l’oreillette gauche que le monde est en train de changer, qu’il va dans le bon sens, que le meilleur se prépare, là, juste devant nous. N’étant pas Ukrainien ni Soudanais et de surcroît de bonne composition ce soir, je souscris volontiers à cette information. Mettons donc en veilleuse ce sentiment de désorientation dont certains historiens nous rappellent la permanence au fil des siècles (il est juste grossi par l’effet loupe de la révolution numérique), et penchons-nous immédiatement sur ce que ce monde nous concocte de doux et de joyeux, cette sobriété heureuse, les petits oiseaux retrouvés, la mutualisation du travail et des ressources, le vivre-ensemble. Ce monde? Mais de quel côté le regardons-nous?


Nous avons tendance à universaliser un point de vue particulier sur le sens du monde, mais ce point de vue-là n’est que le nôtre, celui d’une poignée d’habitants. Or, il semblerait que la fin d’une histoire ne serait pour l’heure que la fin de notre histoire à nous, telle que nous nous la sommes racontée depuis quelques décennies. Plus je voyage, plus je me dis qu’en aucun cas un grand récit unificateur pour la planète n’est à l’ordre du jour, tant les visions des uns divergent avec les intérêts des autres. Ceux qui voudraient écrire quelque chose de lisible sur le mouvement du monde en seront pour leurs frais : l’encre n’aura pas séché sur le papier que déjà, quelque part sur la planète, un événement aura brouillé la lecture.


Et ce monde qui jaillit flambant neuf à la lisière des jungles indonésiennes n’est pas près de suivre la trajectoire déclinante de la comète occidentale. Quand bien même voudrions-nous alerter les pays d’Asie du Sud-Est et d’autres sous-continents émergents des risques qu’ils encourent à calquer leur développement sur le nôtre, je ne suis pas sûr qu’ils accepteraient de modifier leur feuille de route en si « bon » chemin. A Medan, à Surabaya, à Jakarta, les complexes commerciaux fleurissent comme les haricots magiques du conte et le mirage consumériste se répand à la vitesse d’un éclair de néon dans le regard des ados.


Au reste, à bien regarder par chez nous, les idéaux d’une transition (énergétique, sociétale, économique, appelez-la comme vous voudrez) se prennent aussi des volées de plomb. Quand on crée une compagnie nationale des mines pour s’en aller perforer dans tous les sens ce qui reste de nos campagnes, quand on s’arc-boute sur un projet aussi dispendieux que celui de Notre-Dame-des-Landes et que l’on songe à modifier la loi Littoral, on peut se demander si les encouragements à penser le monde de demain ne sont pas des bonbons au tilleul pour distraire l’impatience des scénaristes de l’altermonde. Comment croire que ces discours officiels qui vantent encore la précaution et ces inventions stimulantes pour sauver la planète ne font pas office de simples jardinières posées le long d’une course universelle au désastre?