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voici le monde

voici le monde

mandarine

Amed, Bali, août 2013

J’ai déjà perdu l’odeur, et presque le goût aussi, des fruits que l’on me tendait ronds et mûrs comme le monde, dans cette échoppe encombrée, à l’écart du ciel de faïence. Mais je me souviens de cette main, de toutes ces mains pleines dans l’errance des journées, ces mains guidant mon coeur vers l’accomplissement d’une vérité : le monde est ami.
Et à mesure que le souvenir s’éprouve, il me revient par son suc patiemment instillé le goût de ce monde-là, luisant et fier, pauvre d’ambitions mais si riche d’être, dans l’heureuse lassitude qui s’étale le long des rues poussiéreuses d’Amed.




En vérité, le monde est partagé. A sa face dorée comme le pollen succède en quelques pas son versant d’ombre. Tout au nord du village, comme rejetées par le courant marin, des cabanes de pêcheurs s’enfoncent sous les arbres. Pourquoi le sourire éclatant du soleil d’Amed ne s’est-il pas offert à ces familles-là qui fermaient leurs portes à mon passage? Je me suis souvenu des native americans au Nouveau-Mexique, dont la dernière fierté était de m’obliger à effacer les photos prises d’eux. A une certaine pointe de dépouillement, certains hommes refusent d’accorder leur fragilité, qui est aussi la nôtre, à la fraternité, et alors que tant de beautés sont encore intactes. Par quelle magie malfaisante se sont-ils détournés de notre fidélité instinctive à la rondeur du fruit dont nous sommes nés?