à part soi

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un dix mai

un dix mai

C’était dans la vieille maison de village que mes grands-parents maternels louaient à l’année pour trois francs six sous, dans un hameau suspendu à la Chartreuse, un peu à l’écart du monde. Un dimanche en famille simple et heureux, comme nous en passions souvent là-bas à cette époque. Je crois que personne n’avait voté. Tout le monde s’attendait à la réelection de Giscard, surtout prétexte à ouvrir une bouteille de champagne. Sûr que pour mes parents, la décennie 70 avait été faste, on trouvait ce président plutôt intelligent alors il n’y avait pas de raison d’en changer. Et puis c’était encore la Guerre Froide, la menace soviétique et tous ceux qui louchaient vers le communisme étaient des ennemis dangereux. Je me souviens aussi que quelques jours avant, un plombier était passé chez nous. Je ne sais plus comment ma mère en était arrivée à discuter politique avec lui, il espérait la victoire de Mitterrand « pour que tout le monde vive mieux ». Je m’étais immiscé dans la conversation, en évoquant déjà que pour moi, du haut de mes treize ans, ce qui importait avant tout, c’était la protection de la nature. Le plombier avait dit : « Ah! Vous voyez madame, il va voter à gauche plus tard », genre de prophétie qui avait eu l’air d’effaroucher ma mère. Quand au soir du dix mai, le crâne de Mitterrand est apparu à la télé, mon père a mis sa main sur son front et mon oncle a répété « Oh putain! ». Mon père fustigea quelques semaines durant les discours revanchards de Mauroy contre les « gens du château ». J’avais l’impression que quelque chose de terrible se jouait. Et en fait non. La vie, les destins n’ont cure de la politique et de ses ballets. En mai de l’année suivante, un même dimanche au soleil, une autre nouvelle nous bouleversa, avec le joli visage triste de Romy Schneider à la télé.